On n'a jamais essayé - élections juillet
"On n’a jamais essayé !" : si, si, la France a déjà essayé la droite extrême !
© Wikimedia / Les locaux de l’Action française situés 66 Rue de la République dans le 2e arrondissement de Lyon pendant la Seconde Guerre mondiale. Le cliché a été probablement pris à l’occasion de la venue du Maréchal Pétain à Lyon les 18 et 19 novembre 1940
"On n’a jamais essayé" : la phrase revient comme une ritournelle dans les interviews en micros-trottoirs ou sur les plateaux télévisés, depuis le rejet du "en même temps" macroniste. Pourtant la droite extrême ne peut mettre en avant sa prétendue virginité de toute responsabilité gouvernementale.
Elle a déjà, à plusieurs reprises, exercé le pouvoir en France, à la faveur de crises aiguës, conjuguant effondrement national, crise institutionnelle et divisions sociales et politiques.
Naturellement, la droite extrême a pris, depuis deux siècles, des visages, des formes et des incarnations variées en fonction des contextes sociaux intérieurs et de la situation internationale.
Toutefois, la posture de ce mouvement polymorphe s’inscrit historiquement en réaction aux idées de progrès, de liberté et d’égalité en droit, qui se démarque par la volonté assumée de discriminer selon l’origine et la religion. Retour sur trois moments de cet exercice du pouvoir si particulier.
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La Révolution nationale contre la République
Alors que la droite extrême est écartée de toute responsabilité depuis l’Ordre moral de Mac-Mahon, la nouvelle débâcle militaire de juin 1940, suivie du sabordement de la République parlementaire le 10 juillet, offre une opportunité inespérée aux droites unies, associées à des supplétifs transfuges de la gauche, d’exercer à nouveau le pouvoir.
Cette "divine surprise", comme le dit Charles Maurras, porte la "Révolution nationale" du Maréchal Pétain. Il s’agit d’une réaction cléricale, autoritaire et discriminatoire envers les minorités et les naturalisés.
Le pétainisme, appuyé sur la popularité du prétendu "vainqueur de Verdun", tourne le dos aux valeurs de liberté, d’égalité et de solidarité issues des Lumières et de la Révolution.
Les mesures phares de cette droite antirépublicaine se traduisent par un embrigadement scolaire avec le retour de l’autorité et de Dieu à l’école, la fermeture des "écoles normales" (écoles publiques) d’instituteurs et d’institutrices. Les médias sont censurés et la haine de la presse collaborationniste se déchaîne.
Bon point à l’effigie du Maréchal Pétain distribué par la Légion française des combattants (1940-1944). © Alain Auzas/Wikimedia, CC BY-SA
Survient également la dénaturalisation rétroactive des Français naturalisés depuis 1927 (réfugiés juifs d’Europe centrale et orientale, opposants antifascistes italiens, espagnols et allemands), l’épuration drastique de la haute fonction publique, en particulier des membres de la franc-maçonnerie, et la discrimination légale des juifs à travers un statut particulier.
La vie démocratique est étouffée à chaque échelle : dissolution de tous les conseils territoriaux élus, ajournement des chambres parlementaires et persécution des syndicalistes.
Le paroxysme de la mise en œuvre de cette politique liberticide est atteint, dans l’ignominie et le crime, par l’État milicien de 1944 qui pourfend la "lèpre juive", combat le bolchevisme sur le front russe sous uniforme nazi, et assassine lâchement, après le Débarquement, les hommes d’État républicains : le 20 juin, Jean Zay, le 7 juillet, Georges Mandel, coupables d’avoir vu juste dans les intentions d’Hitler dès 1933, et victimes de la haine antirépublicaine et antisémite.
Le Front National
Il y a un demi-siècle, le Front national de Jean-Marie Le Pen a fédéré les groupuscules rivaux d’extrême droite, issus des nostalgiques du pétainisme, du poujadisme et de l’Algérie française.
La dédiabolisation menée par sa fille depuis 2011 semble avoir réussi à faire passer à l’arrière-plan ces racines idéologiques compromettantes au profit d’un rassemblement populiste "attrape-tout" amnésique de sa propre histoire.
La droite extrême, lors de crises dramatiques et sous d’autres contours, a donc ainsi "déjà été essayée" en France et a été chèrement payée mais ces expériences précédentes ne lui sont plus imputées par une majorité de l’opinion.
"Français, vous avez vraiment la mémoire courte" disait Pétain le 27 juin 1941.
(Extraits d'un article de la RTBF du 6 juillet 2024 - [1]