Année 2022. La terre a épuisé la quasi-totalité de ses ressources naturelles. La ville de New York dénombre plus de 40 millions d’habitants sous les effets de la pollution et de la surpopulation.

Le détective Robert Thorn est chargé d’enquêter sur le meurtre crapuleux de William Wimonson, un nanti, dirigeant de la compagnie "Soylent". Celle-ci est une multinationale spécialisée dans la confection de produits alimentaires concoctés à base de plancton et appelés "Soleil rouge", "Soleil jaune" et enfin "Soleil vert". Avec l’aide de Sol Roth, un vieillard avec lequel il cohabite, Thorn va découvrir que le cas Simonson n’est pas un meurtre, mais une exécution. Et que celle-ci est directement liée au secret de fabrication du "Soleil vert".

C'est le synopsis de ce film.

affiche film soleil vert
Affiche du film "Soleil Vert"
 
Personne ne parie un centime sur le succès de « Soleil vert » à sa sortie en avril 1973 : le film a trop de défauts et l’histoire paraît invraisemblable. Cinquante ans plus tard, ce film est devenu culte : il marque la prise de conscience écologique de l’époque.
 

« Ce film pompeusement prophétique n’a pas de cerveau », tranche le New Yorker. « Un mélodrame simple et musclé beaucoup plus qu’une démonstration sur le potentiel de destruction insensée des ressources de la Terre par l’homme », poursuit le New York Times.

Au lendemain de la sortie le 19 avril 1973 de Soleil vert – Soylent Green en anglais –, les critiques de la presse américaine se montrent au mieux réservées, au pire très sévères pour le film. (...)

Surtout, il y a cette histoire dérangeante, loin des canons habituels des studios américains quand ils s’aventurent dans la science-fiction. Pas question de vol planétaire ou de voyages dans la galaxie comme dans La Planète des singes ou 2001, l’Odyssée de l’espace. Là tout se passe sur Terre, à New York. (...)

Mais comment croire un instant à ce scénario tiré d’un roman Make room ! Make room !, de Harris Harrison ?

En 2022, alors que toutes les ressources ont été épuisées sur la planète, une population pléthorique et démunie tente de survivre dans une ville étouffant sous une chaleur d’enfer. La distribution de pilules Soylent Green assure leur maigre subsistance sous la férule d’un régime policier brutal, machiste, assurant l’ordre d’un monde où une poignée de super-riches poursuit son exploitation sans limites au détriment de tout.

Non, tout cela est par trop invraisemblable. Le monde du cinéma prédit une vie des plus éphémères au film.

Pourtant, en dépit de tous ses défauts et de ses manques, le film chemine discrètement, presque sous le manteau. Il arrive en France en 1974 et est distribué dans les salles le même jour que le film Emmanuelle dont tout le monde parle. Inutile de donner les chiffres du box-office les premières semaines : le vainqueur était connu par avance. Mais Soleil vert tient, lui, l’affiche pendant des années. Cinquante ans plus tard, il arrive que quelques ciné-clubs ou salles d’art et d’essai le reprogramment. Car il appartient désormais à ces films cultes de l’histoire du cinéma. (...)

« Bien sûr que je me souviens du jour où j’ai vu Soleil vert. Pour moi, il fait partie des bons films de science-fiction, de ceux qui nous mettent en éveil, nous donnent l’alerte », raconte l’économiste Benjamin Coriat, attentif de longue date aux problèmes écologiques et aux biens communs.

 

Les pollutions à la « une » des journaux

Si Soleil vert reçoit cet accueil discret mais constant, c’est que le film répond à une préoccupation montante. À l’époque, on ne parle pas encore de changement climatique ou de transition écologique. Le mot environnement fait à peine partie du vocabulaire politique. En revanche, il est déjà beaucoup question de pollutions. (...)

Puis les opinions publiques ont réalisé que les dommages les concernaient directement. C’est l’époque où les accidents industriels, notamment dans la chimie, se multiplient mais commencent à être répertoriés. Les pollutions de l’air, de l’eau, du sol qu’ils engendrent frappent tous les esprits. Mais c’est aussi le moment où une prise de conscience s’installe sur la dangerosité de certains produits pour la santé, les animaux, les ressources naturelles. Les pluies acides qui ravagent les forêts de part et d’autre de l’Atlantique font désormais la « une » des journaux.

Les gouvernements se sentent obligés de réagir. Les premières lois de protection de la nature s’ébauchent lentement. En France, 1973 voit ainsi la création de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Alors que la crise pétrolière met à mal les économies occidentales, et que les pollutions s’accélèrent, la possibilité d’économiser l’énergie et les ressources naturelles fait son chemin. (...)

 

Le dérangeant rapport sur les limites de la croissance

L’idée est évoquée dès 1969 dans certains cénacles scientifiques et économiques. Mais elle entre vraiment dans le débat public en 1972 avec le rapport Meadows, connu aussi sous le nom du rapport du Club de Rome. Sous l’intitulé « Les Limites de la croissance », les économistes du MIT, Donella et Dennis Meadows avec Jørgen Randers avertissent que le scénario d’une croissance démographique et économique infinie est voué l’échec. (...)

À l’époque, le rapport fait un tollé parmi les économistes. Le Fonds monétaire international le désavoue publiquement et le Club de Rome prend ses distances. Les économistes « sérieux », notamment adeptes de l’École autrichienne qui forme le socle du néolibéralisme alors en pleine conquête intellectuelle, l’assomment de critiques, reprochant aux auteurs d’avoir négligé les bénéfices des progrès techniques. Ou d’avoir ignoré l’effet-prix qui, selon eux, ne peut que ramener tout le monde à la raison, même pour les produits essentiels ! S’appuyant sur ces controverses universitaires, les gouvernements s’empressent d’enterrer promptement le rapport Meadows. (...)

Mais les milieux écologistes et même le grand public ont, eux, bien entendu les avertissements des « Limites de la croissance ». Des groupes s’emparent des sujets, interpellent les gouvernements sur leur inaction. En France, le dessinateur Gébé en popularise les principaux constats dans L’An 01, devenu une référence dans les milieux écologistes. Et Soleil vert est lancé par les studios hollywoodiens.

L’année suivante, l’agronome René Dumont est le premier candidat écologiste à se présenter à l’élection présidentielle en France. Il entend profiter de cette tribune exceptionnelle pour y populariser les grands thèmes écologistes, pour lancer des alarmes « pendant qu’il en est encore temps ». Face à la caméra, il interpelle les téléspectateurs : « Vous savez ce qu’il va se passer ? », en portant un verre d’eau à ses lèvres. « Nous allons bientôt manquer de l’eau, et c’est pourquoi je bois devant vous un verre d’eau précieuse puisque avant la fin du siècle, si nous continuons un tel débordement, elle manquera », prédisait-il.

À sa suite, de nombreux scientifiques s’engagent. (...)

En 2022, la ville de New York, comme dans Soleil vert, a atteint un pic de température de 39 °C. En 2023, une vague de chaleur sans précédent s’abat sur tout le pourtour méditerranéen, provoquant des incendies gigantesques. Mais la canicule sévit aussi aux États-Unis où les températures sont montées au-delà de 45 °C. (...)

« Tout était connu il y a cinquante ans. Si nous avions décidé alors de prendre un autre chemin, tout serait bien différent aujourd’hui. Nous ne l’avons pas fait », constate avec regret Noël Mamère.

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